Gabriel Matzneff ou les zigzags de la libération des moeurs

Publication : mercredi 8 janvier 2020 12:40

 

         Il y a une quarantaine d’années, l’émancipation de la sexualité était déjà le sujet de grands débats en France. Elle avait pris un tour que nous avons oublié. L’idée à la mode, dans nos élites intellectuelles, consistait à proclamer qu’il fallait libérer la sexualité des adolescents et même des enfants, en autorisant les relations amoureuses entre ceux-ci et les adultes. On parlait d’un tabou à briser ou d’un préjugé bourgeois à renverser. Son abolition allait, disait-on, conduire à la maturation sereine des générations à venir et à leur épanouissement affectif. Ceux qui, comme moi, dénonçaient cette prétendue libération comme  rien d’autre qu’un voile jeté sur les conduites prédatrices d’hommes mûrs obsédés de chair fraîche, étaient qualifiés de réactionnaires irrécupérables. Un manifeste parut dans le journal « le Monde », porte-parole de la pensée éclairée de l’époque. Il était signé de lumières progressistes qui sont encore présentes parmi nous. Il exigeait la fin des lois répressives qui punissaient les relations sexuelles avec des mineurs.

 

   Le grand-prêtre de cette religion nouvelle était un essayiste et romancier du nom de Matzneff. Les médias les plus influents lui étaient ouverts avec empressement. Il exposait avec force détails, comment lui, homme de près de cinquante ans, s’y prenait pour séduire, déflorer et quitter des filles qui n’en avaient pas quinze. Ses exploits le firent monter sur le podium de la célébrité : il fut invité de l’émission « apostrophes », qui couronnait alors les gloires de la littérature nationale. L’animateur, Bernard Pivot, jugea  nécessaire d’organiser un semblant de débat contradictoire. Pour affronter le grand écrivain, il choisit une romancière québécoise, parfaitement inconnue en France. Elle eut juste le temps de dire à Matzneff qu’au Canada, ses agissements avec des mineures étaient punis par la loi. Sa voix fut aussitôt couverte par des protestations et des ricanements. Le lendemain de l’émission, la commentatrice du « Monde » conclut le débat en affirmant que les jeunes filles dépucelées par Matzneff avaient bien de la chance d’avoir été initiées à la vie amoureuse par un homme si rempli de délicatesse et d’expérience. Quant au pouvoir politique, il était trop proche de notre élite intellectuelle, trop charmé par ses audaces, trop sensible aux idées de libération des mœurs, pour s’opposer en  quoi que ce soit à de telles pratiques. Il fit en sorte que les lois qui punissaient les relations sexuelles avec des mineurs, ne fussent pas appliquées. 

 

     Un mouvement lancé d’aussi haut dans notre hiérarchie sociale ne pouvait manquer d’avoir un vaste écho. C’est ainsi que des pères de famille, des enseignants, des prêtres même, se crurent des bienfaiteurs de l’adolescence en imitant Matzneff, indifféremment avec des filles ou des garçons. Le silence complice de nos élites, de la justice et de la presse couvrit leurs agissements.

 

    Il a fallu près de vingt ans pour que la vérité commence d’être reconnue. Les cris des victimes de cette « initiation à l’amour » ont peu à peu ébranlé les certitudes de notre classe dirigeante. Elle a dû admettre, non sans réticence, qu’une relation sexuelle entre une adolescente de quatorze ans et un individu de cinquante n’était épanouissante pour aucun des deux. Elle n’aboutit à rien d’autre que, d’un côté, le déploiement de l’égoïsme monstrueux d’un adulte dominant et, de l’autre, l’étouffement d’une personnalité juste naissante et aussitôt dominée. Il a bien fallu appeler les pratiquants de cette religion par leur véritable nom : des prédateurs sexuels et des pédophiles.

 

   Mais c’est aujourd’hui seulement –quarante ans plus tard- que l’on remonte à la source du mal : cette semaine, une victime de Matzneff ose raconter, dans un livre poignant, son horrible expérience. Enfin la véritable histoire de la pédophilie en France est révélée, son grand prêtre dénoncé publiquement et les intellectuels qui ont été ses thuriféraires bruyants, sommés de s’expliquer. Notre élite ne s’en sort pas à son honneur. Aucun de ses représentants, si prompts habituellement à des repentances en notre nom,  n’a  le courage de demander pardon pour lui-même ; la plupart se cachent dans un silence embarrassé à moins que, comme Matzneff, vieillard presque nonagénaire, ils n’émettent quelques propos égrotants sur leurs « belles amours salies ».

 

   Si je reviens après d’autres sur cet épisode lamentable de notre histoire contemporaine, c’est parce qu’il nous apprend une leçon pour le présent et l’avenir. Notre élite s’est détournée, il est vrai, de ses égarements pédophiles. Mais elle reste fermement attachée au principe qui est à leur origine, c’est à dire à l’indispensable émancipation de la sexualité. C’est de là que naît aujourd’hui son attirance pour une nouvelle idée, qui consiste à permettre aux femmes d’avoir des enfants sans père. Elle voit dans les techniques de la PMA, un instrument de progrès pour la condition féminine,  une libération exemplaire du système patriarcal, un moyen de rendre justice aux couples de lesbiennes. Elle tourne en dérision ceux qui, à nouveau comme moi, ne voient dans le projet de loi Macron, qu’une nouvelle reculade devant l’égoïsme monstrueux d’adultes qui, pour satisfaire leurs pulsions et leurs caprices, n’hésitent à compromettre l’équilibre psychique et le développement complet d’enfants à elles confiés.    

 

   La triste expérience de la pédophilie a duré près d’un demi-siècle. Il en faudra peut-être autant pour que la « PMA pour toutes » soit à son tour reconnue pour ce qu’elle est. A nouveau, le cri des victimes sera peut-être indispensable pour ébranler les certitudes de notre élite et éveiller sa honte. Mais, tôt ou tard, ce jour viendra. Alors on reverra avec une stupeur indignée, l’image de ces députés qui ont osé ovationner le vote de la loi ; on lira avec dégoût les intellectuels qui la célèbrent. Et, si l’on veut à nouveau remonter à sa source, on sera conduit à citer avec horreur le nom de Macron.   

 

  Michel Pinton