L'AGE DE LA FOLIE ORDINAIRE

Publication : samedi 18 mai 2013 13:30

Nous marchons sur la tête, mais comme c’est général, seul celui qui est encore sur ses pieds se sent étrangement étranger. Certes, nous subissons un Président « normal », mais chacun le sent confusément : cette « normalité » est anormale. A cette place, il faudrait être exceptionnel. Or, le propre de notre époque consiste à supprimer les frontières, et notamment celle qui sépare le normal de l’anormal. Le mot lui-même, en dehors de l’exception présidentielle, est devenu d’un emploi périlleux. Vous avez dit « normal » ? Comme c’est bizarre ! C’est même indécent, car cela implique une discrimination en défaveur de ceux qui ne sont pas « normaux ». Alors, soit il faut sévir pour faire taire cette forme de racisme insupportable, soit il faut compenser en instaurant une discrimination positive, en donnant plus à ceux qui ont moins. Mais, pour commencer, interdisons-nous le mot ! le normal n’existe pas. Seules existent des différences qu’on ne peut juger inégales que par rapport à une norme instituée par la caste dominante dans le passé,  dont le pouvoir, en cette aube radieuse, est heureusement révolu.

 

> Dans les années 1970, l’antipsychiatrie avait cherché à gommer la frontière entre le normal et le pathologique dans le domaine psychique. Le « fou » n’était plus un malade. C’était un « différent » que la société réprimait et enfermait pour le contrôler.  Certes, l’analyse critique du contrôle social des individus, celle de Foucault, par exemple, est une démarche sociologique intéressante. Son ignorance, voire sa phobie du génétique,  est  plus contestable. Elle domine amplement la vulgate des milieux branchés. Si elle a ouvert des portes et favorisé l’accueil des différences, elle n’a guère apporté de solutions, comme si l’intelligence du discours, son apparente générosité, permettaient à celui-ci de s’imposer à la résistance du réel. De même que l’enfermement du malade mental perdait de sa légitimité, celui du délinquant était remis en cause. N’est-il pas, lui aussi produit par une société qui ne l’enferme que pour le rendre prisonnier d’un rôle dont il aura amélioré la connaissance en prison ? L’embarrassante victime est encombrante. Il est plus urgent de se concentrer sur la réinsertion d’un homme qui ne demandera qu’à vivre avec les autres, si les salauds qui sont dehors ne le repoussent pas. Du juge ou de l’assassin, qui est le plus inhumain ? Un député suédois a récemment proposé d’obliger les hommes à uriner assis. Cette trouvaille fait sourire, mais elle permet de saisir la logique d’un processus qui submerge nos démocraties repues et vieillissantes, comme une caricature éclaire un personnage. Trois étapes : d’abord, prendre conscience que la différence sexuelle est une norme sociale imposée par le « sexe » dominant, non par la nature. Ensuite, gommer l’inégalité des comportements : assis, comme tout le monde ! Enfin, faire du « normal » antérieur l’ »anormal » d’aujourd’hui : « tout le monde », c’est-à-dire, les femmes !

 

> Vous pouvez bâtir de nombreuses variations sur le même thème. Celle qui est au cœur de l’actualité avec le mariage « unisexe » c’est l’identité sexuelle. Bêtement l’observation anatomique, la physiologie, la médecine nous apprennent qu’il y a deux sexes, et que leur complémentarité a pour but la reproduction. Quelle illusion grossière ! les genres sont des catégories sociales qui font surgir au-delà de la fausse évidence du sexe la réalité essentielle de l’orientation sexuelle en quoi réside la véritable identité. A partir de là, le comportement « normal » qualifié d’ »hétérosexuel » se dénonce lui-même comme une idéologie dominante et répressive des autres pratiques érotiques. Il y a donc des « genres » aliénés par une société homophobe et qui demandent l’égalité. Le « normal » hétérosexuel est devenu l’anormal « homophobe », qui réprimait scandaleusement une différence si souvent liée à des dons évidents. Pourtant un vestige de dignité intellectuelle nous invite à nous extraire de ce délire. Apparemment, le « mariage pour tous » réalise l’égalité au profit de la minorité. En fait, il la réalise au détriment de la majorité de plus en plus clairsemée qui considérait que ce n’était pas la reconnaissance sociale d’un sentiment, mais la fondation d’une famille. Le PACS avait anticipé le processus puisqu’il est essentiellement conclu par des couples hétérosexuels qui ont adopté la « norme » de la minorité. Penser comme tout le monde revient à rejeter la norme majoritaire pour lui substituer, en douce la norme minoritaire. C’est, dans le fond, le schéma marxiste qui, privé de ses classes sociales et de sa révolution prolétarienne, tourne à vide. L’idéologie de ceux du dessus doit être renversée par ceux du dessous dont la pensée libératrice devient la pensée commune.

 

> Le résultat de ce marxisme devenu fou, de ce canard sans tête qui continue sa course, c’est une société sens dessus dessous où à force de renoncer aux normes religieuses, nationales, morales, sexuelles qui structurent notre civilisation, à force de tolérance avec les intolérants, on voit s’imposer ici et là, du quartier sensible aux grands médias, une absence de normalité qui précède une autre normalité beaucoup moins souple que celle que nous devons abandonner dans la repentance. Sans doute, l’asile d’aliénés n’était-il pas la solution, mais l’autre branche de l’alternative ne consiste pas à transformer la société entière en asile. Et c’est pourtant ce qui arrive.

Christian Vanneste