Télévision

Publication : mardi 2 octobre 2012 07:08

CONFÉRENCE DE M. BAUDIS LE 9 DÉCEMBRE 2003

M. Dominique Baudis, président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, dont nous avons soutenu l’action contre la pornographie et la violence à la télévision, ayant accepté notre invitation à en débattre, nous l’avons reçu le 9 décembre. Le général de Longeaux, président de Famille Médias, avait bien voulu nous rejoindre à la tribune.

Des difficultés techniques d’enregistrement sont à l’origine du retard avec lequel paraît cette Lettre et de la forme que nous avons dû lui donner d’un compte rendu dont je suis l’auteur. J’espère ne pas avoir trahi la pensée de l’orateur, mais j’assume le choix des termes de ce compte rendu et, a fortiori, les conclusions et les conséquences que j’en tire.

Ce compte rendu est volontairement limité à ce qui a trait à la pornographie et à la violence à la télévision dans l’exposé de M. Baudis et ne reprend pas les témoignages de plusieurs participants sur les conséquences gravissimes sur le psychisme des enfants des spectacles auxquels ils assistent et de l’abus de la télévision à des heures tardives.

Nous devons, me semble-t-il, tirer de l’action du C.S.A. depuis trois ans et du soutien que nous lui avons apporté les enseignements suivants :

La France considère officiellement, depuis 1986, et elle est le seul pays de la Communauté européenne dans ce cas, que les spectacles pornographiques (ou d’extrême violence) ne sont pas de nature à nuire aux enfants.

La mesure d’interdiction de ces spectacles, qui avait d’après les sondages le soutien de plus de trois Français sur quatre, par la simple mise en conformité de notre législation avec les directives européennes, a été abandonnée par une majorité de parlementaires tout entiers à leur siège attachés et ayant peur de déplaire aux médias.

L’action du C.S.A., positive depuis l’arrivée de M. Baudis à sa tête, est forcément limitée par son statut, les mesures qu’il prend à l’encontre des émetteurs étant susceptibles d’appels, avec le risque que cela comporte d’approbation des pratiques qu’il censure. La même remarque peut être faite pour les arrangements qu’il est amené, en l’absence d’une législation appropriée, à passer avec les émetteurs.

Une solution pleinement satisfaisante passe nécessairement par un retour devant le parlement ou, s’il reste défaillant, par une décision de la Cour européenne de justice.

C’est à ces deux objectifs que nous devons nous attacher.

 

Le C.S.A.

Le C.S.A. exerce une mission de régulation, en gérant, au nom de la collectivité nationale, un espace public constitué des fréquences utilisées par les radios ou par les télévisions. C'est une autorité administrative indépendante. Ses membres sont nommés par le chef de l’État, le président du Sénat et le Président de l'Assemblée. Ils forment un collège de neuf personnes Le président met en œuvre les décisions prises collégialement.

Jusqu'au début des années 80, seul l’Etat pouvait faire de la radio et de la télévision. Les radios privées que l'on pouvait entendre étaient appelées « périphériques » parce qu’elles émettaient à partir de pays voisins. Il a mis fin au monopole en ouvrant les fréquences à des opérateurs privés ; continuant à être propriétaire des chaînes publiques et ne voulant pas être juge et partie, il a mis en place une autorité administrative indépendante, appelée Haute Autorité, puis C.N.C.L., Commission Nationale de la Communication et des Libertés, et, depuis 1989, Conseil Supérieur de l'Audiovisuel.

Le rôle du C.S.A. est de choisir les opérateurs, d'élaborer les conventions qui les lient et de veiller à leur bonne exécution. Il le fait dans le cadre de la loi de 1986 dite de « Liberté de la communication audiovisuelle ».

L'article premier de cette loi dit : « La communication audiovisuelle est libre » mais ajoute aussitôt : « mais cette liberté s'exerce dans le respect d'autres principes d'égale valeur » et ces principes sont le pluralisme, la protection de l'enfance et de l'adolescence, l'encouragement à la création audiovisuelle et musicale.

En arrivant au C.S.A., il y a trois ans, Dominique Baudis avait conscience que c'était dans le domaine de la protection de l'enfance et de l'adolescence qu'il fallait faire les efforts les plus importants, car, ayant été maire pendant plusieurs années, il avait pu voir à quel point les gens étaient préoccupés par l'invasion de la violence et de la pornographie à la télévision et à la radio.

La télévision

Deux choses étaient préoccupantes : la multiplication de films qui ne devaient pas être vus par de jeunes enfants et l’information déficiente des parents. La signalétique qui avait été mise en place était incompréhensible. Il y avait des logos de couleur avec des phrases dont on ne comprenait pas la signification. Une enquête a montré que 70 % des gens comprenaient à l'envers. Par exemple pour « Accord parental souhaitable » avec un rond bleu, les gens pensaient qu'il était souhaitable que les parents donnent leur accord. Donc que c'était plutôt un film recommandé aux enfants et aux familles. Alors qu'en réalité cette signalisation s'appliquait aux films interdits aux moins de douze ans.

Or, en France, un film interdit aux moins de douze ans, est un film qui, vraiment, ne doit pas être vu par des enfants de moins de douze ans parce que la Commission de classification des films qui siège au ministère de la Culture et qui est composée, pour un tiers, de professionnels du cinéma rend des décisions très peu rigoureuses, très libérales diront les uns, très laxistes diront les autres. En France, sur cent films qui sortent en salle, quatre-vingt sont tous publics et vingt ont une interdiction. En Grande-Bretagne, ce sont vingt films tous publics et quatre-vingt qui ont une interdiction. Et cela pour les mêmes films.

La première action de Dominique Baudis a donc été de mettre en place une signalétique qui informe réellement les familles sur la nature du film qui va être diffusé. Si c'est un film interdit aux moins de douze ans, il y a « Film interdit aux moins de 12 ans » et dans un petit cercle, il y a « moins 12 ». Il lui fallut pour cela convaincre les opérateurs. Une enquête d'opinion qui a été menée dix mois après la mise en service de cette nouvelle signalétique a montré que 90 % des gens considéraient qu'elle était plus lisible que celle d'avant ; 75 % des foyers de téléspectateurs chez lesquels il y avait des enfants disaient : « Nous tenons compte de la signalétique dans le choix des programmes lorsque les enfants sont devant la télévision ».

L’autre problème, beaucoup plus grave et beaucoup plus difficile à résoudre, était celui de la diffusion tardive, après minuit, de films interdits aux moins de dix-huit ans et qui sont en réalité des films pornographiques. Ces films étaient diffusés il y a vingt ans ou trente ans dans des salles de cinéma spécialisées qui ont toutes fermé puisque, à partir de 1986, avec Canal Plus, il y a eu le début de la diffusion à la télévision de films pornographiques. Avec la restriction portant l'horaire de diffusion (pas avant minuit), il y avait une deuxième restriction à une fois par mois. Et puis ensuite, au fil des années, on a vu apparaître de nouvelles chaînes, du câble, du satellite, et les autorités de régulation ont délivré de nouvelles autorisations à certaines de ces chaînes pour diffuser, toujours à partir de minuit, des films pornographiques. Et le un par mois de Canal Plus est devenu deux par semaine, voire trois par semaine pour certaines autres chaînes, si bien qu'on arrive à l'heure actuelle à une quinzaine de chaînes qui diffusent des films pornographiques passé minuit.

Il y a chaque année, entre 800 000 et 900 000 mineurs qui voient à un moment donné un film pornographique à la télévision dont 500 000 enfants âgés de moins de onze ans. Cela veut dire que pour beaucoup d'enfants, la première représentation visuelle qu'ils auront des relations amoureuses et sexuelles entre homme et femme seront celles d'un film pornographique, avec des traces qui peuvent durer très longtemps, avec évidemment un phénomène de tache d'huile. Ce chiffre augmente d'année en année parce que dans les cours de récréation, ils se donnent les heures, les jours, les chaînes, etc., avec des conséquences qu'on a observées et que les éducateurs ont observées, c'est-à-dire, un changement dans le langage et les comportements des garçons vis-à-vis des filles, y compris très jeunes, à l'âge de dix, douze ans. Dominique Baudis a eu des témoignages, directs à Toulouse ou par lettres reçues d'autres régions sur des petites filles qui rentrent chez elles en pleurs parce que des garçons dans la cour de récréation leur ont parlé avec les mots crus qui sont ceux du langage d'un film pornographique 

Il y a eu au printemps 2002 un rapport très alarmant émanant d'un collectif Enfance et Média, collectif où l'on trouvait à la fois des associations de parents d'élèves, du public et du privé, des syndicats d'enseignants, d'éducateurs et de tous ceux qui d'une manière ou d'une autre étaient en contact avec l'enfance. Ils alertaient sur les modifications de comportements qu'ils observaient de la part des enfants, et en particulier des garçons à la suite de ces films diffusés à la télévision.

 

 

Une directive européenne

Dominique Baudis a alors proposé au C.S.A. d'adopter un texte qui était un texte de rupture par rapport à tout ce qu'on avait fait précédemment, texte dans lequel on rappelait que les directives européennes demandent aux États membres de veiller à ce que les programmes de télévision ne puissent pas perturber les jeunes enfants, notamment les programmes d'extrême violence ou pornographiques. Cela figure en toutes lettres dans la directive européenne « Télévisions sans frontière ». Les autres pays ont adopté ces dispositifs, c'est-à-dire qu'en Allemagne, en Belgique, au Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, il n'y a pas de diffusion de films pornographiques à la télévision. Et les gens qui regardent des films pornographiques à la télévision le font en s’abonnant à des chaînes françaises. Nous sommes le seul pays en Europe qui diffuse régulièrement ce type de programme.

Le C.S.A. a alors demandé au Gouvernement et au Parlement, d'amender la loi sur l'audiovisuel de manière à y introduire les mêmes termes que ceux de la directive européenne, à savoir, « extrême violence et pornographie », de façon qu'on puisse mettre fin à la diffusion de ce type de programmes.

Quand le C.S.A. proposé au gouvernement et au parlement de prendre cette décision, ce qui n'était pas très difficile - il fallait ajouter trois mots dans la loi - au mois de juin 2002, il y a eu une approbation générale, et puis pendant l'été les lobbies ont commencé à se mettre en route. Au mois de juillet, il n’y a eu que de bons articles : « Ah oui ! Ils ont raison, cela ne peut plus durer, etc. » Et puis, au mois de septembre, cela a changé. Au mois d'octobre, cela devenait un tollé général : l'ordre moral, la censure, etc.

Ce fut une débandade généralisée, les mêmes qui disaient au mois de juin ou juillet : « Bravo, très bien, etc. », disaient au mois de septembre ou octobre : « Ho là là ! Mais non ! Il ne faut pas ! » Le ministre de la Culture et de la Communication a considéré qu'on faisait preuve de « pudibonderie », le président de l'Assemblée a dit : « Non, non, non, pas de censure ! »

Le C.S.A. a essayé une position de repli en proposant un système de double cryptage, avec l'image brouillée qui se désembrouille uniquement par l'introduction d'un code personnel à quatre chiffres.

Cette solution a été jugée « plus raisonnable ». Mais l’on a choisi de la faire déposer sous la forme aléatoire d’une proposition de loi par un député et non sous la forme d’un projet de loi par le gouvernement. Dans la matinée qui était réservée pour la discussion de cette loi, tout le monde est monté à la tribune en disant que c'était formidable, qu’il fallait absolument le faire, que c'était indispensable, mais finalement, entre ceux qui auraient voulu plus, c'est-à-dire l'interdiction totale, ceux qui auraient voulu moins, ceux qui finalement avaient intérêt à ce que rien ne se décide, on est allé de suspension de séance en incident de séance, les quatre ou cinq heures réservées à la discussion de cette proposition de loi étaient épuisées, la séance a été levée, rien n'était voté. À la sortie de l'hémicycle, le député qui avait déposé la proposition de loi a dit : « J'abandonne ! » Et le lendemain, le gouvernement a dit : « Eh bien, nous, nous ne légiférons pas non plus. » Donc, au bout d'une année de pérégrinations entre Matignon, la Rue de Valois, l'Assemblée nationale, etc. on se retrouvait exactement au point de départ, dans la même situation juridique, mais avec le même mécontentement de la part des familles, des parents, des éducateurs, et des chiffres d'une année sur l'autre qui montraient une progression du nombre de jeunes exposés à ce type de programme.

Puisqu’on ne pouvait pas interdire, on ne pouvait qu'essayer de mettre en place un deuxième cryptage, avec l'introduction d'un code à quatre chiffres.

Sans support législatif, en jouant de l'autorité que lui donnent ses fonctions de régulation, le C.S.A. a demandé à toutes les télévisions autorisées à diffuser ce genre de programme à s'engager dans les douze mois à mettre en œuvre un dispositif qui, en principe, doit empêcher les enfants de se trouver mis en contact avec ces images.

La radio

L’autre sujet sur lequel doivent être sensibilisés ceux qui sont impliqués dans une action associative est celui de la radio. Le C.S.A. reçoit beaucoup de courriers de parents ou d'associations disant : « À la télévision, il y a trop de violence, il y a des images qui choquent les enfants ! », mais il reçoit très rarement des courriers concernant la radio. Dans les familles lorsqu’on voit sur l'écran, à neuf heures, les images violentes d'un film policier, on dit au petit, qui a onze ans ou douze ans : « Eh bien, maintenant ça suffit, monte dans ta chambre ! » Et lui monte dans sa chambre et puis là, il écoute la radio. Et les parents pensent que c'est bien, il ne risque rien, il écoute la radio. Il y a des émissions qui sont ce qu'on appelle les émissions libre antenne, où il y a un animateur et puis des intervenants, et qui tournent exclusivement autour des questions relatives à la sexualité ; les enfants et les pré-adolescents s'y intéressent, c'est normal, c'est de leur âge. Le problème, c'est que ce ne sont pas des émissions d'éducation, même menées d'une manière un peu amusante et divertissante ; on est dans l'obscénité permanente, la description complaisante de toutes les formes de pratiques qu'on peut imaginer par des gens qui interviennent au téléphone et racontent des choses hallucinantes.

Dominique Baudis a cité l’exemple d’un jeune garçon au téléphone, donc en direct à la radio, qui dit à l'animateur : « Voilà, j'ai un problème de conscience parce que j'ai fait l'amour avec la mère de mon meilleur copain. » Et il doit avoir quatorze ans. Et l'animateur lui dit : « Ah bien ! Oui, je comprends mais enfin, il faut que tu en parles quand même à ton copain. » « Ah non ! Ça me gêne. » « Mais si, tu dois lui en parler. Entre amis, il faut tout se dire ! Dis-moi son nom et son numéro ! » L'autre donne le nom et le numéro du copain, le type les appelle et il les met en relation en direct. Imaginons la conversation en direct, entendue par des centaines de milliers d'auditeurs, entre deux garçons de quatorze ans qui se connaissent, qui sont amis en classe, au collège, l'un racontant à l'autre qu'il a eu une relation sexuelle avec sa mère, et ce que cela peut provoquer psychologiquement.

Voilà le type de débordement délirant auquel on a affaire sur les radios, ce qui amène très souvent le C.S.A. à prendre des mises en demeure ou des sanctions. Parfois, certaines radios en tirent les conséquences, jusqu’à licencier, comme cela s’est produit récemment, l’animateur. D’autres radios jouent la comédie de la liberté, le refus de la censure. C'est toujours un travail extrêmement compliqué, d'autant plus que les adultes n'écoutent pas, et donc que le C.S.A. n'a pas de soutien dans la société. Au fond, c'est une sorte de huis clos entre ces radios et leur public jeune, leur public d'ados.

Le C.S.A. demande actuellement à ces radios, avec, semble-t-il, des chances de succès de ne pas commencer ce genre d’émissions avant vingt-trois heures, comme cela se passe aux États-unis.

Famille et Liberté - Lettre N° 35 - Décembre 2003


 

Pornographie et violence à la télévision

« J’ai treize petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants et je ne voudrais pas que les émissions pornographiques leur apprennent l’amour »

Cette annotation d’une des destinataires de notre courrier de novembre, appelant à soutenir l’action de M. Dominique Baudis, président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel contre la pornographie (et la violence, omise faute de place) à la télévision, traduit bien l’état d’esprit de la plupart de ceux de nos correspondants qui ont répondu à notre appel. Ils ont été nombreux à le faire et à écrire directement à M. Baudis qui y a été sensible.

Le débat sur la proposition de double cryptage inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 12 décembre s’est achevé dans la confusion sans que la proposition puisse être votée. Était-il utile d’apporter la preuve qu’il n’y a pas une majorité parmi les députés pour l’interdiction pure et simple ? J’en doute.

La solution du double cryptage est-elle techniquement efficace ? Ce n’est pas sûr. Est-elle pratiquement efficace ? C’est encore moins sûr et je crains fort que les laissés pour compte soient encore une fois les enfants dont les parents ne remplissent pas ou remplissent mal leur devoir d’éducation.

Il y a un cruel paradoxe à déplorer « la démission des parents » tout en leur laissant supporter seul le poids d’une situation qui relève de la santé publique ou de la morale publique, pour parler comme M. Alain Lambert, ministre délégué au budget, qui aurait déclaré que l’on ne règle pas une question de morale publique par le biais de la fiscalité.

Cette opinion est contestable et étonnante : contestable parce qu’il s’agit bien, de la part des producteurs d’une affaire d’argent et non de liberté d’expression artistique ; étonnante parce qu’il me paraît sans précédent qu’un Grand Argentier se soit plaint de la mauvaise odeur de l’argent. Devons-nous nous attendre à une baisse des taxes sur l’alcool, le tabac et les jeux ?

Quoiqu’il en soit, ne baissons pas les bras ! Notre prochain courrier proposera à ceux qui ne l’ont pas fait en novembre, par découragement ou par négligence, d’affirmer leur volonté qu’il soit porté remède à la situation actuelle.

Famille et Liberté - Lettre N° 31 - Décembre 2002