Le revenu universel. Un remède contre la pauvreté ?

Publication : mardi 9 octobre 2018 16:09

 

La campagne présidentielle est l’occasion d’un fourmillement d’idées, nouvelles ou recyclées, pour répondre aux défis de la société contemporaine. Famille et Liberté propose aux candidats une feuille de route pour une politique familiale cohérente don’t vous avez eu les grandes lignes dans la LETTRE n°105. Nous n’y reviendrons pas ici.

Parmi les préoccupations prioritaires des Français se trouve la pauvreté  d’une partie de la population. Selon l’INSEE, en France métropolitaine (donc hors DOM), 9,2 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté monétaire. Le taux de pauvreté est ainsi de 14,6%, touchant particulièrement les immigrés et, parmi les familles, les personnes seules et les familles monoparentales.

Pour remédier à la pauvreté une idée refait surface régulièrement sous un nom ou sous un autre, revenu universel, revenu de citoyenneté, dividende universel, allocation universelle. C’est une vieille idée qui,

depuis Thomas Paine[1] sous le Directoire a été reprise maintes fois et encore tout récemment par des gens de droite comme de gauche. Selon Bruno Jeanbart, directeur général adjoint d’Opinion Way, elle séduit les « catégories socio-professionnelles supérieures », des « salariés pas forcément fortunés mais au capital culturel élevé (...) la gauche des villes ». L’idée est de remédier à la pauvreté en assurant un revenu permettant à chacun de vivre dignement.

Ce souci se rapproche de celui qui a inspiré d’abord le RMI en 1988, puis le RSA en 2008[2]. Sauf que ces allocations en étaient une parmi de nombreuses autres et étaient octroyées sous diverses conditions, notamment de ressource. La nouveauté du revenu universel est que celui-ci serait accordé à TOUS, sans condition aucune, et A LA PLACE de toutes les autres allocations. Certaines variantes proposent cependant de le mettre sous condition de ressources ; mais alors il n’est plus universel.

Il s’agit d’une sorte de rente à vie, versée par l’Etat, à chacun, jeune ou vieux, riche ou pauvre, chômeur ou non. Elle serait financée par l’impôt (si bien que les « riches » qui la recevraient comme les autres, financeraient par leurs impôts à la fois la leur et celle des autres), ou/et par des fondations.

Il s’agit de remédier à la pauvreté par un palier supplémentaire de redistribution.

Des expériences ont été tentées, pour un bref laps de temps et un nombre limité de personnes, dans certaines villes d’Europe. Les résultats constatés ont été, pour les attributaires, « subir moins de stress », « payer les factures en retard », « payer le loyer », « avoir du temps pour soi », « travailler moins », « bénéficier de plus de confort » et de » bien-être ». Résultat non négligeable... Mais tout ceci est resté provisoire et précaire car les sommes dépensées-là n’ont de ce fait pas été investies dans la création de richesse qui aurait pu débloquer le marché du travail, vrai remède contre la pauvreté. Ces expériences ont, pour la plupart, été abandonnées (Finlande, Etats-Unis...). L’une d’entre elle a lieu en ce moment même en Allemagne concernant 122 personnes financée par une société privée berlinoise.

Les seuls exemples pérennes que l’on connaisse sont ceux du Qatar et de l’Alaska.

Deux expériences de revenu universel

- Le Qatar. Les Qataris sont très riches grâce aux revenus du pétrole et tout Qatari jouit d’une rente à vie confortable pour peu qu’il ait la citoyenneté. L’envers de la médaille est qu’aucun Qatari ne veut s’abaisser à effectuer les travaux peu gratifiants ou mal rémunérés. Il n’en a pas besoin pour vivre.  Ce sont de nombreux immigrés Indiens, Pakistanais  ou Jordaniens, véritables esclaves modernes, qui font le travail pour eux, sans aucun espoir de voir leur condition s’améliorer. L’Etat Qatar se garde bien d’accorder la citoyenneté à ces migrants car alors, la charge de cette rente aux citoyens s’alourdirait sans cesse à mesure que d’autres migrants  viendraient remplacer les nouveaux citoyens dans l’espoir de devenir citoyens rentiers à leur tour.  Ce système de revenu universel semble donc ne pouvoir éradiquer la pauvreté des autochtones que sur le dos d’une nouvelle classe d’esclaves et dans un pays à la nationalité très fermée.

-  l’Alaska.  Crée en 1976, l’expérience en Alaska repose, aussi,  sur de considérables revenus du pétrole.  Au début, ces revenus ont été mal gérés, d’où l’idée d’en retirer la gestion à l’Etat et d’en faire profiter tous les habitants. Ce système n’a pas été conçu, au départ, comme une politique sociale, mais au contraire « pour contrer l’extension de l’Etat providence », ses services et sa bureaucratie.  Et finalement, les retombées ont été très sociales et ont soutenu les populations défavorisées.

 Il est financé par un fonds souverain et varie avec lui. Le versement  annuel est calculé sur la moyenne des performances du fonds les 5 dernières années : 2 269 dollars en 2008, 1281 en 2010, 1600 en 2018 à chacun des 640 000 habitants.

Le point commun de ces deux systèmes  est que ces deux états étaient riches et avaient de l’argent à distribuer. Ce qui les sépare est que l’un en a profité pour créer une nouvelle classe d’esclaves, tandis que l’autre fait profiter tous ses ressortissants de cette manne, sans pour autant lui garantir une vie sans travail. Dans le second cas, on s’accorde à reconnaître à ce fonds une influence décisive sur l’augmentation du taux de fécondité.

Applicable à la France ? En France, nous n’avons pas de rente ; nous avons des dettes.

Contrairement au Qatar, le Revenu Universel serait distribué à tous les habitants, faisant accourir la terre entière pour cette nouvelle manne.

Simplifier le système et éviter le non-recours des ayants-droit

L’un des arguments avancés pour défendre le RU est qu’on observe que près de 30% des gens éligibles aux allocations ne les demandent pas. L’automatisation du RU remédierait à cette carence puisque dès lors, on n’aurait même pas besoin de le demander. N’est-ce pas utiliser l’artillerie lourde que donner une allocation à 60 millions de personnes pour être sûrs qu'1 million d’entre elles ne passent pas à la trappe ?

Ne faut-il pas plutôt déplorer l’isolement de ces gens don’t personne, ni le voisinage ni les assistantes sociales, ne remarque la précarité et tout mettre en œuvre pour encourager et renforcer les liens familiaux, de voisinage et de microsociété ? Ceci permettrait de ne pas s’arrêter au seul aspect pécuniaire de la situation de ces personnes.

Cette allocation que l’on pourrait appeler « aveugle » car elle serait attribuée aveuglément à tous, saurait-elle répondre à la différence des situations et donc des besoins ? Le nécessaire pour vivre dignement n’est pas le même dans une grande ville et à la campagne, selon que l’on est jeune ou vieux, malade ou bien-portant, handicapé ou autonome, et même riche ou pauvre.  Un revenu  universel n’est-il pas la négation de l’infinie variété des personnes, de l’histoire de chacun ?

Il est à craindre que très vite le réel ne reprenne le dessus : si dans un premier temps il remplace comme prévu toutes les autres allocations, ne verra-t-on pas refleurir ici et là, telle et telle aide adaptée aux besoins réels de telle ou telle population ? Le RU ne serait donc très vite qu’une allocation de plus. Le coût estimé à 26% du PIB, don’t les promoteurs affirment qu’il pourrait être envisageable s’il devait remplacer toutes les autres dépenses sociales, viendrait alors se rajouter aux autres, entraînant une augmentation d’impôts. Cette augmentation d’impôts entraînerait à son tour, comme toujours, de nouvelles délocalisations et une baisse du niveau de vie des Français, c’est-à-dire, encore plus de pauvreté. Et le serpent se mordrait la queue.

Accordée à des gens qui sont financièrement autonomes, cette allocation de l’Etat les transformerait à leur tour en personnes tributaires de la manne publique, ce qui ne serait pas l’un des moindres effets pervers. On peut craindre qu’à côté de quelques-uns réellement stimulés dans la volonté de s’en sortir grâce à la sécurité retrouvée, d’autres ne soient au contraire encouragés à se contenter de l’assistance qui leur tombe du ciel, complétée par le recours au travail au noir ou les commerces illicites. Car alors, « qu’est-ce qu’on gagne à travailler » ?

Lutter contre la pauvreté ne signifie pas lutter contre les inégalités

Il ne faut pas confondre l’indispensable souci de remédier à la pauvreté avec « le refus des inégalités ». Les inégalités font partie de la condition humaine.  C’est un truisme de dire que les hommes naissent inégaux et de nombreux auteurs l’ont souligné. Les gens naissent avec plus ou moins de santé, d’intelligence, de force, dans des milieux de vie différents : à la ville ou à la campagne, dans un pays ou une famille plus ou moins riche ou pauvre, généreuse ou égoïste, des climats plus ou moins propices.  Ces inégalités de naissance évoluent elles-mêmes ensuite selon ce qu’en font les hommes avec leur volonté et leur liberté mais aussi en fonction de leur entourage.

Vouloir tout le monde égal, sur un même moule, revient à nier la liberté de l’homme, sa capacité à vouloir conduire sa vie comme il l’entend, à donner le maximum de lui-même dans la direction qu’il se donne.

Vouloir tout le monde égal, c’est inviter chacun à se mesurer à l’autre pour être sûr que personne ne vous dépasse en aucune manière. C’est ériger en vertu la jalousie et l’envie et engendrer bien des haines. Avec de telles obsessions, nous voyons peu à peu la société se transformer en lit de Procuste.

Plus tristement encore, cette uniformité nous prive du besoin de nous appuyer sur l’autre, qui nous apporterait ce qui nous manque, et vice-versa. Si nous sommes tous pareils nous n’avons plus besoin les uns des autres. Ste Catherine de Sienne raconte dans ses « Dialogues » que comme elle s’étonnait auprès du Créateur de l’inégalité des conditions humaines, Dieu lui répondit cette phrase que l’on peut méditer en ces temps d’individualisme : « J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres »[3]

L’inégalité est une bonne chose car elle fonde les relations humaines en nous rendant nécessaires les uns aux autres. Tout autre sont la pauvreté, la maladie, la solitude et autres épreuves qui ne sont pas, elles, une bonne chose et il est normal que la collectivité ET les personnes s’en émeuvent.  Mais il ne faut pas se tromper de combat : ce n’est pas forcément la réduction des inégalités qui rendra riches les pauvres ou bien portants les malades. Une politique sociale est indispensable mais elle ne peut qu’accompagner une économie dynamique et efficace ainsi qu’un indispensable soutien aux relations humaines, aux liens sociaux qui relient les gens entre eux. Il faut lire à ce sujet l’admirable sermon du Père Abbé du Barroux en la fête de St Joseph artisan[4]

Vivre dignement

Enfin, si vraiment l’idée du revenu universel est de permettre à chacun de vivre dignement, il est permis de se demander si c’est vraiment vivre dignement que se résigner à vivre des largesses de l’Etat. Qui ne souhaite assumer lui-même sa subsistance et celle de sa famille par son travail ? Il faudrait un peu moins d’Etat-Providence et plus de justice dans les salaires qui, en plus d’être une juste reconnaissance de l’investissement dans le travail, doivent permettre à l’Homme (homme et femme) d’assurer une vie digne à lui-même et à sa famille. Joseph Thouvenel, secrétaire confédéral de la CFTC, affirme que « le défaut majeur du revenu dit universel est l’oubli de cet impératif de l’humanité qu’est la valeur du travail : « Hors les cas d’urgence, de soutien immédiat par l’aumône ou le don, allouer une somme de façon récurrente sans exiger de contrepartie c’est mépriser la personne. C’est poser le principe que certains seraient dans l’incapacité d’apporter quoi que ce soit à la société ».

 Une société où disparaissent les emplois non-hyperspécialisés

Reste la question très sérieuse de la place qui restera, pour « la vieille classe inemployable » laissée pour compte par un monde hyper-technologique. Yuval Noah Harari[5] prophétise que d’ici peu, environ 70% des emplois disparaitront, remplacés par des machines gouvernées par des algorithmes.

De quoi vivront les laissés-pour-compte de la technologie ? Voilà un bon motif de se poser la question d’un revenu universel. Mais sommes-nous sûrs qu’un revenu tombé automatiquement suffira à donner du sens à leur vie ? A moins que, comme le prévoit sans état d’âme Harari, on n’en fasse des zombies en les dopant aux distractions et addictions en tous genres, comblant leur moindre désir avant même qu’ils ne l’expriment afin de s’assurer de leur docilité insane. Nous sommes dans le Meilleur des Mondes.

Valoriser les solidarités naturelles

L’un des derniers rapports du Secours Catholique soulignait que 60% des gens qui s’adressaient à lui étaient des gens qui n’avaient personne vers qui se tourner. Aucun lien familial et social.

Plutôt que rendre les gens encore plus dépendants de l’Etat, ne faudrait-il pas encourager une politique de restauration des solidarités naturelles : valoriser les liens familiaux comme un engagement réciproque et intergénérationnel, encourager les corps intermédiaires que sont les communes, entreprises, confréries de métiers, écoles, voisinage, associations et clubs divers, à développer les liens de proximité, des caisses de secours et un véritable sentiment d’appartenance, de communauté, un peu comme le font les Eglises. Que chacun sache se retourner et regarder autour de soi pour connaître ses voisins et collègues, est-ce trop ambitieux ? N’est-ce pas le premier pas indispensable d’une vie écoresponsable comme on aime à dire ? N’est-ce pas la priorité ?

La manne publique devrait venir ensuite compléter ce qui n’a pu être fait, selon un principe de subsidiarité central dans la doctrine sociale de l’Eglise. La solidarité familiale, est elle-même reléguée au second plan par cette manne accordée individuellement du berceau au grand âge, ignorant le « foyer fiscal », symbole d’une communauté de vie et de destin.

Claire de Gatellier

 

[1] Le Basic Income Earth Network (BIEN)

[2] Après le RMI en 1988 transformé en RSA en 2008, le président Macron instaurerait le RUA (Revenu Universel d’Activité) qui remplacerait en 2022/2023, en les fusionnant, le RSA, les Allocations logement et la prime d’activité. Il serait mis sous condition de ressources et de recherche d’emploi (vérifié)

[3] " Il en est ainsi de plusieurs dons et grâces de vertu ou d’autres qualités spirituelles et temporelles. Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres. Il était en mon pouvoir de doter les hommes de tout ce qui leur était nécessaire pour le corps et pour l’âme ; mais j’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi. "

[4] Sermon de Dom Louis-Marie1er Mai 2020 Disponible sur le site de Famille et Liberté : www.familleliberte.org/index.php/articles/496-par-un-revenu-universel.

[5] Homo Deus. Une brève histoire de l’avenir. Albin Michel 2015