Procréation Médicalement assistée - Grossesse pour autrui

Publication : lundi 21 mai 2018 13:56

Audition au CCNE de Famille et Liberté le 30 mars 2018.

Intervention du Professeur Yvonne Flour


Dans l’état actuel du droit, l’assistance médicale à la procréation est explicitement destinée à remédier à l’infertilité médicalement diagnostiquée d’un couple. Cette condition a été affirmée dés le commencement par la loi du 27 juillet 1994. Mais elle n’est pas liée aux balbutiements d’une technique encore mal maîtrisée. Bien au contraire, elle a été solennellement reprise et même mise en exergue dans la loi plus récente du 7 juillet 2011. A cette date le législateur a voulu de façon tout à fait explicite « parachever la clarification » (je cite le rapport) de la finalité de l’AMP, de manière à souligner qu’elle ne peut avoir pour fin de répondre à une demande d’enfant érigée en véritable droit, mais d’apporter une réponse thérapeutique à un problème médical. Cette condition continue de nous apparaître tout à fait raisonnable et même essentielle. D’une part, elle respecte la fonction naturelle de la médecine, qui est de soigner. D’autre part, elle inscrit l’enfant dans le modèle biologique de la filiation en le rattachant immédiatement au  couple que forment ses parents. Au contraire, étendre l’assistance médicale à la procréation en dehors de ce cadre, l’ouvrir aux femmes célibataires, aux couples homosexuels, à la
procréation post mortem, c’est dissocier la médecine de sa vocation thérapeutique pour la transformer en une prestation de service disponible à la demande, pour convenance personnelle, dans une perspective finalement consumériste. On entretient ainsi le mythe d’une
puissance sans limite de la technique, faisant croire que l’on peut fabriquer la vie en
laboratoire comme on fabrique un produit. Mais ce n’est pas la réalité : la vie ne se fabrique
pas, elle se transmet.
Et elle a vocation à se transmettre dans un cadre familial. Or généraliser l’AMP, c’est aussi
accepter de fabriquer délibérément des enfants sans père. En fait, c’est réduire le rôle du père
à sa fonction de géniteur, contribuant ainsi à effacer encore un peu plus la figure de la
paternité déjà très abîmée dans notre société. C’est enfin occulter le fondement
incontournable de toute filiation, qui inscrit l’enfant dans l’union d’un couple qui lui transmet
la vie. Quelle que soit la manière dont on considère les choses, l’enfant naît toujours d’un
couple et le rôle du droit n’est pas de travestir cette réalité. C’est pourquoi nous soutenons très
fortement le maintien de cette condition d’infertilité qui donne son sens à l’assistance
médicale à la procréation.
Du reste, il faut souligner aussi qu’il existe d’autres techniques de traitement de la fertilité,
sous la forme du fertlity care ou de la naprotechnologie (natural procreative tecnology) qui a
fait ses preuves à l’étranger mais reste presque inconnue en France. C’est une méthode
alternative de traitement de l’infertilité, moins invasive, apparemment plus efficace et sans
doute moins onéreuse. Peut-être pourrait-on également développer des recherches de ce côté.

 

GPA.

 

Notre système juridique repose sur une distinction fondamentale qui structure la vision du
monde que propose le droit : c’est la distinction des personnes et des choses. Les choses sont
objet de contrat. Les personnes sont sujets de droits, ce qui revient à dire qu’elles sont placées
en dehors, ou plus exactement au-dessus, du champ contractuel : en ce sens elles sont
indisponibles. C’est l’expression la plus forte du principe de dignité et de primauté de la
personne humaine. Cette indisponibilité n’exprime pas seulement l’idée que la personne doit
être soustraite aux échanges marchands. Elle ne se confond pas avec la gratuité. Elle signifie
que l’être humain doit être mis à l’abri de toute transaction. En d’autres termes, en toutes
circonstances, la personne doit être traitée comme une fin en soi et jamais comme un moyen
qu’on instrumentalise pour une fin autre qu’elle-même. C’est la raison pour laquelle la Cour
de cassation, dans son arrêt bien connu du 31 mai 1991, a jugé que la convention de gestation
pour autrui est affectée d’une nullité d’ordre public parce qu’elle contrevient au principe
d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes.
Depuis 1991, rien n’a changé qui pourrait remettre en cause cette analyse, bien au contraire. Il
suffit de lire ces contrats. On voit bien que la femme comme l’enfant y sont traités, non pas du
tout comme des fins, mais bien comme des moyens de satisfaire le désir, exprimé par
d’autres, de devenir parents. L’enfant est commandé, fabriqué, livré comme un produit. Il n’y
a lui-même aucun intérêt : la GPA n’est revendiquée que dans l’intérêt des adultes. Quant à la
femme, celle qu’on appelle la mère porteuse, elle s’aliène elle-même, elle dispose au profit
d’autrui de son corps et de sa vie pendant la durée du contrat. A supposer même qu’elle y
trouve un intérêt, éventuellement un intérêt financier car on voit mal de quel autre intérêt il
pourrait s’agir, elle n’est rien d’autre que l’instrument dont on a besoin pour que l’enfant
paraisse. Au demeurant, elle est priée de s’effacer et de disparaître dés que le résultat est
obtenu.
En effet, pour que l’opération parvienne à son aboutissement, il faut parvenir à déplacer vers
les demandeurs la filiation de l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. Pour cela il faut
d’abord effacer la filiation d’origine, ce qui signifie que l’existence de la mère doit être
occultée. Dans une époque où la connaissance toujours plus précise de la vie intra-utérine
souligne l’importance des liens que l’enfant crée pendant la grossesse avec sa mère et avec
son entourage, on mesure que cette séparation ne peut être indolore. On sait à quel point
l’abandon d’un enfant peut être un traumatisme qui laisse des traces profondes. Il faut ensuite
établir une filiation nouvelle, ce qui s’obtient par une manipulation des règles juridiques qui
sans doute fait honneur à la dextérité des ingénieurs du droit qui proposent ce type de
services, mais laisse le droit de la filiation dans le plus grand désordre au point qu’il en
devient incompréhensible. Plus personne ne sait dire aujourd’hui ce qu’est la maternité : la

transmission des gènes, la gestation, l’accouchement, l’intention, notion impalpable s’il en
est… ?
En tout cas, il faut dénoncer l’illusion d’une GPA « éthique ». La procréation est devenue un
marché. Sur ce marché, agissent des entreprises dont les motivations ne sont pas
philanthropiques. Il suffit là encore de se référer aux contrats de gestation qu’il est assez facile
de consulter sur le web. Il y est d’abord question d’établissement d’un budget et de
financement ; il y est aussi question de « livraison » - livraison de la mère après qu’elle a été
sélectionnée sur catalogue, livraison de l’enfant après la naissance, de défaut de conformité,
des garanties promises aux demandeurs, d’autant plus complètes que le prix payé est plus
élevé. J’ai lu il y a seulement deux jours dans un journal sportif que les agences de GPA qui
se créent se transforment à grande vitesse en vastes multinationales. Elles cherchent alors à
investir les profits retirés de leur activité. Et comment les investissent-elles ? En achetant des
clubs de sport… Quand on connaît le budget de certains de ces clubs, on mesure ce que cette
simple information a d’édifiant. On ne saurait ignorer que derrière un discours qui présente
l’élargissement des techniques de procréation artificielle comme un mouvement inéluctable se
dissimulent des intérêts financiers considérables. Face à la pression de ce marché, pour
résister à la marchandisation de l’humain, la GPA prétendument « éthique » a toutes les
chances de se révéler une ligne de défense aussi efficace que la ligne Maginot.