Economie: la famille, un investissement rentable

Publication : jeudi 26 mai 2016 19:43

L’économie va mal; il faut trouver un bouc émissaire. Ce sera tantôt « la crise », les riches, l’évasion fiscale, l’immigration, l’Europe, l’Amérique, l’Allemagne, l’éducation nationale, et d’autres encore. Il y en a un qui est de plus en plus souvent montré du doigt : la famille, les enfants.

La politique familiale coûte cher, les femmes, occupées avec leurs enfants,  ne travaillent pas assez, et le mythe de l’enfant pollueur[1] s’ajoute depuis peu à l’idée d’un enfant qui coûte cher et ne produit rien et qu’en période de chômage, le marché du travail ne pourrait pas absorber tous les jeunes.

Quant au « grand » économiste à la mode, Thomas Piketty, il fait carrément l’impasse sur les enfants puisque dans son calcul du revenu mensuel moyen des Français, il divise le revenu national par les 50,4 million d’adultes en omettant délibérément les 14,3 millions d’enfants. Comme s’ils n’avaient aucun besoin, aucun droit et qu’ils vivaient de l’air du temps. Omission répétée dans tous ses calculs.

 Face à ce malthusianisme ou à cette indifférence de la réalité de la succession des générations, d’autres économistes, et non des moindres, soulignent au contraire le rôle essentiel des nouvelles générations dans l’économie.

Un capital humain

 

A un journaliste du Point[2] qui lui demandait si le chômage n’était pas dû à ce que la France avait trop d’enfants, Michel Godet, économiste et démographe, s’inscrivait en faux et répondait que « Le baby-boom, en France comme ailleurs a été une source de croissance. Il ajoutait : « Il n’y a jamais trop d’enfants éduqués, ils sont potentiellement créateurs de richesses supplémentaires. La croissance du PIB par personne est plus forte aux Etats-Unis qu’en Europe depuis 1980 justement pour des raisons démographiques. Le vrai problème est qu’on ne crée pas assez d’emplois en France.

L’économiste Olivier Pastré, peu suspect de conservatisme et ex-consultant auprès de la Commission européenne explique que « l’histoire a démontré que les pays ayant une démographie dynamique sont ceux qui ont la plus forte croissance ». Interrogé par le journal Sud-Ouest au sujet de son livre[3]  réconfortant « Tout va bien (ou presque) »[4], il démontre que la France a bien plus de points forts que de faiblesses et rend hommage à la politique familiale qui a été un de ses meilleurs atouts. Il ajoute qu’ « en 2025, l’Europe aura un besoin de main-d’œuvre estimé à 20 millions de personnes pour maintenir son marché du travail en l’état ».  Le professeur Jacques Bichot est plus précis encore lorsqu’il rappelle que la santé économique d’un pays est tributaire de ses enfants, si l’on veut bien raisonner à long terme ! « Les nouveau-nés d’aujourd’hui sont les écoliers de demain, les lycéens d’après-demain, les étudiants de 2035 et finalement les moteurs de l’économie des décennies 2040 à 2080 ». Il ajoutait qu’ « un être humain né en France crée en moyenne 70 000€ de richesses chaque année pendant 40 ans. Pour le total de sa vie active, cela fait 2,8 millions d’euros. 10 000 naissances en moins, c’est donc quelque chose comme 28 milliards d’euros de PIB en moins dans les décennies à venir ». Or, il manquait en 2015 près de 15 000 naissances par rapport à la moyenne des 14 dernières années. Sur ce point, nous renvoyons le lecteur au chapitre sur la démographie.

Sans aller jusqu’à adopter les théories économicistes du prix Nobel Gary Becker, théoricien du Capital Humain, expression maintenant couramment acceptée, il faut lui reconnaître d’avoir bien mis en valeur la réalité de l’investissement en capital humain que représente la mise au monde des enfants. Le couple, en mettant au monde des enfants, « produit », si l’on peut dire, un « capital », dans lequel il « investit » par l’éducation qu’il lui donne. Ce faisant, il investit pour lui-même dans un soutien pour sa vieillesse[5], et il investit pour la nation car ces enfants participeront à leur tour à l’économie du pays.

L’économiste allemand Martin Werding[6], voit aussi la famille comme une petite entreprise, et les enfants comme un investissement. Avec un retour sur investissement à la fois social et économique. La TPE « famille », à la fois consommateur et travailleur, fournit des commodités et des biens que le marché ne peut pas fournir, comme par exemple l’éducation des enfants qui est, dit Martin Werding,  leur compétence de base.

Gary Becker parle aussi de ces biens que le marché ne peut fournir, par la combinaison notamment de biens marchands et de temps donné. Par exemple, un repas est un bien non marchand issu de la combinaison de temps et d’ingrédients.

Cependant, tout investissement a un coût. C’est à cela que s’est intéressé le Haut Conseil de la Famille en commandant à Antoine Math une évaluation du « coût des enfants ». Ce rapport de l’IRES (Institut de Recherches  Economiques et Sociales) sur les dépenses consacrées par la société pour les enfants, affirme d’emblée que « la question de cette « reproduction sociale », celle permettant la production économique future, c’est-à-dire le renouvellement de la ressource humaine capable physiquement et mentalement de participer à la production » se pose à la société dans son ensemble et ne peut être renvoyée à la seule responsabilité des parents. »

Ceci fait très exactement écho au titre du rapport publié il y a 10 ans par Evelyne Sullerot et Michel Godet : « La famille, une affaire publique » qui, réactualisé en 2010, ne perd pas une ride.

Si l’enfant est un investissement, à qui profite-t-il et comment ?

 

Martin Werding répond[7] : aux enfants, aux parents, à l’économie du pays, à l’Etat, à la société ! Aux enfants par une éducation et une tendresse adaptée à chacun d’entre eux et qui leur permet de développer harmonieusement leur personnalité, aux parents qui trouvent leur bonheur dans leurs enfants et assurent leur vieillesse, au système économique du pays qui trouve dans les enfants non seulement des consommateurs mais aussi pour le futur, main d’œuvre, créateurs et producteurs, à l’Etat, puisque de futurs contribuables justifieront et permettront le financement de projets publics, à la société, par la préservation et la transmission de l’héritage culturel et du capital social.

Si cet investissement est si profitable à tous, comment se fait-il que ce soit justement les familles qui sont le plus exposées à la pauvreté ? Le professeur Werding n’hésite pas à dire que le bénéfice des efforts importants des parents leur est confisqué par des politiques mal ciblées, par exemple en matière de retraite. Il emploie même le terme de « détournement » (diverted). En France, nous pourrions citer comme politique mal ciblée qui détourne les efforts des parents, l’éducation nationale qui coûte fort cher pour un résultat contre-productif.

En clair, l’échange entre l’effort des parents et celui de l’Etat, et le bienfait retiré, est inéquitable et les parents portent la plus grosse part de l’investissement dans les nouvelles générations. Un facteur aggravant ce déséquilibre est la dette publique ainsi que le régime public de retraites qui n’est pas provisionné. Le poids de la charge penche nettement sur les familles ce qui, selon Martin Werding est des éléments expliquant la baisse de la natalité.

 

Le coût des familles en difficultés

 

Si une bonne politique familiale est un investissement bénéfique pour la nation, à l’inverse, ne pas reconnaître et soutenir l’effort des familles a un coût très élevé pour elle.

En premier lieu par la baisse de la natalité : on ne met pas au monde des enfants pour de l’argent mais on peut y renoncer pour des raisons économiques. (voir le chapitre sur la démographie).  Nous consacrons un chapitre au problème épineux des retraites mais rappelons simplement ici, que d’après les études du COR (Conseil d’Orientation des Retraites), la diminution de l’indice de fécondité de 0,2 point, c’est 29Md€ en moins dans le budget de l’assurance vieillesse.

En second lieu,  si la famille est défaillante, le coût de ses enfants est surmultiplié.  Selon les estimations de Michel Godet[8] ou d’Antoine Math[9],  les familles reçoivent de la collectivité moins de 5 000€ en moyenne par an et par enfant. Qu’une famille ne puisse plus assumer son rôle et qu’il faille placer l’enfant dans une famille d’accueil ou dans un foyer et le coût grimpera à environ 200€ par jour, soit 73 000€ par an,  15 fois plus. Sans aller jusqu’à ces extrémités, un enfant dans une famille divisée a plus de chances que d’autres de souffrir de troubles divers, de l’échec scolaire à des pathologies psychosomatiques, des addictions  ou des troubles de comportements allant jusqu’à la délinquance. Le rapport 2015 de l’UNICEF  « Ecoutons ce que les enfants ont à nous dire » en fait l’analyse. Ceci a aussi un coût. [10]

C’est ainsi que le budget d’aide sociale à l’enfance atteint aujourd’hui 7,5 milliards. Qui pèsent sur les départements  déjà exsangues. Il serait beaucoup plus économique d’investir dans le soutien aux familles, à l’institution du mariage, à la revalorisation de l’autorité parentale, et notamment de celle du père, grand absent de notre époque.

Coût en matière de logement.  Si la pénurie de logements a plusieurs causes, l’une d’elle est qu’en cas de divorce, deux logements au lieu d’un sont devenus nécessaires, le second supposé assez grand pour que le parent non-gardien puisse recevoir ses enfants régulièrement.  Ensuite, à supposer que le deuxième logement soit trouvé, il générera dans bien des cas une nouvelle allocation logement, nouvelle charge pour  les administrations publiques (APU).

Coût sanitaire tant il est prouvé que la santé est globalement moins bonne chez les gens en difficultés familiales (les enfants comme les parents) : stress, troubles du sommeil, addictions, vulnérabilité plus grande, etc.

C’est l’ensemble de ces constats qui inspirait la Recommandation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour investir dans la cohésion familiale, adoptée à l’unanimité à Strasbourg, le 27 avril 2010. Elle disait, entre autre, que « Les couples stables ont généralement des revenus plus élevés, sont moins confrontés au risque de pauvreté et accumulent plus de richesses. Ils sont plus heureux, moins sujets à la dépression et au suicide et vivent plus longtemps ;

Les personnes divorcées jouissent d’un bien-être physique et affectif moindre que les personnes mariées ; la séparation des parents est associée à une série de conséquences néfastes pour les enfants durant l’enfance, l’adolescence et même l’âge adulte…

Investir dans la famille, dans la cohésion familiale, est en vérité un bon calcul économique.

Claire de Gatellier

 

 

 

 



[1] Chaque bébé qui naît sera responsable de l’émission d’une tonne et demi de C

[2] Le Point.fr du 1er avril 2016 : Chômage : la France fait-elle trop d’enfants ?

[3]  http://www.sudouest.fr/2016/04/25/pourquoi-la-france-doit-croire-en-son-avenir-2340163-705.php

[4] Fayard 2013

[5] Becker estime que le taux de rendement de l’investissement dans ses enfants est plus élevé que ceux des placements retraite habituels

[6] Professeur de politique sociale et de finance publique à l’université de la Ruhr

[7] Conférence de Martin Werding, au VIIè congrès européen de la Confédération européenne des Associations de Familles Nombreuses. Cascaïs 19/20 septembre 2014.

[8]Michel Godet. Familles, je vous saigne : la dangereuse socialisation de la politique familiale., In La Revue parlementaire Novembre 2014

[9] Antoine Math. Les dépenses consacrées par la société pour les enfants. IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales. Etude réalisée pour le Haut Conseil de la Famille en août 2014.

[10] Cf. les Actes du Colloque sur Les Enfants du divorce : un sujet tabou publiés par Famille et Liberté