Les Familles nombreuses, amies ou ennemies ?

Publication : dimanche 30 septembre 2018 19:26

Le nombre des familles nombreuses baisse sensiblement depuis plus de 30 ans. De 600 000 elles sont passées à 300 000[1] . Faut-il le déplorer ? La famille nombreuse est-elle en elle-même source de misère et de pauvreté ? Elle est parfois accusée de « piller » la planète par des besoins accrus en consommation et même de la polluer. Elle est le fer de lance de l’immigration puisque les familles nombreuses sont pour une bonne part d’origine non française. Toutes questions ou observations fréquemment entendues et qui méritent qu’on s’y arrête pour faire la part des choses.

Les données chiffrées concernant les familles nombreuses nous sont connues par une étude INSEE parue en 2015 et donnant les chiffres de 2011[2] : Les familles nombreuses sont celles composées de 3 enfants et plus. En 2011, la France métropolitaine compte 1,7 millions de familles nombreuses avec au moins  3 enfants mineurs, soit 1 famille sur 5. Si l’on rajoute l’Outremer, les chiffres augmentent largement.

A l’intérieur de ces familles, 1 famille sur 6 est recomposée et encore 1 sur 6 est monoparentale. Les 4 autres sont donc traditionnelles.

Familles nombreuses et pauvreté

 

Toujours selon l’INSEE, le niveau de vie des familles décroit avec le nombre d’enfants, si bien que les familles nombreuses sont davantage touchées par la pauvreté : 35% des couples avec 4 enfants ou plus vivent sous le seuil de pauvreté

 

Figure 1 : Proportion de familles selon le nombre d'enfants

 
                 

Part des familles
(en %)

Effectif
(en milliers)

Nombre d'enfants

1

2

3

4 ou +

Total

3 ou +

1 ou +

3 ou +

Famille "traditionnelle"

34,0

44,9

16,4

4,7

100

21,1

5 473

1 156

Famille recomposée

23,9

39,4

25,2

11,5

100

36,7

724

266

Famille monoparentale

48,8

35,5

11,6

4,1

100

15,7

1 577

247

Ensemble

36,1

42,4

16,2

5,3

100

21,5

7 774

1 669

Lecture : 16,2 % des familles avec au moins un enfant mineur vivent avec trois enfants.

Champ : familles avec au moins un enfant mineur, en ménage ordinaire, France métropolitaine.

Source : Insee, enquête Famille et logements 2011.

     

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Godet, également en 2011, c’est-à-dire avant l’abaissement du plafond du quotient familial et la mise sous condition de ressources des allocations familiales, analysait déjà que « même après impôts et transferts, le niveau de vie d’une famille en couple avec trois enfants ou plus est en moyenne inférieur de 25% à celui d’un couple sans enfants ». Le rapport 2015 du Haut Conseil de la Famille (HCF) sur Le coût de l’enfant, évalue le taux de pauvreté des enfants à 30,2% dans les familles nombreuses « malgré les aides plutôt orientées vers ces familles ».

 

 

 

La conclusion la plus communément entendue est celle-ci : Puisque les familles nombreuses sont pauvres et que la pauvreté est un mal que l’on souhaite éradiquer, supprimons les familles nombreuses !

 

Etrange sophisme qui fait des familles nombreuses en elle-même le bouc émissaire. C’est la théorie du laboratoire d’idées Terra Nova, référence constante du gouvernement : « Les fratries nombreuses semblent avoir un effet assez défavorables sur la scolarité des enfants et leur trajectoire sociale, particulièrement en ce qui concerne les filles ». Cette crainte a-t-elle pris sa source dans une publication surprenante du National Bureau of Economics Research où trois économistes montreraient que les enfants de famille nombreuse souffriraient d'un déficit croissant, en fonction de leur rang dans la fratrie, de leurs capacités intellectuelles et affectives! Curieuse analyse qui confondrait les causes et les effets : que des populations aux capacités intellectuelles et affectives réduites soient en plus incapables de maîtriser leur fécondité, ne doit pas forcément induire que le nombre des enfants est la cause de ces déficiences alors qu’il peut en être simplement la conséquence. C’est ce que finit quand même par reconnaître cette étude en soulignant que l’ampleur du « handicap » des enfants de famille nombreuse varie beaucoup avec les capacités de la mère ! Cette étude anti familles nombreuses ne prend-elle pas le risque d’extrapoler le fait de certaines populations issues de quartiers défavorisés de grandes métropoles pour le généraliser à l’ensemble des familles nombreuses ?

 

N’est-il pas, en outre, curieux de s’interroger sur la disponibilité d’une mère de famille pour chacun de ses huit ou neuf enfants sans se préoccuper de cette même disponibilité pour la mère de deux enfants qui consacre huit heures par jour à sa carrière.

 

L’histoire fourmille d’exemples d’illustres rejetons de famille nombreuse ou très nombreuse dont l’humanité eut été appauvrie si de telles idées malthusiennes les avaient empêchés de naître : le Maréchal de Mac-Mahon, 16ème enfant, Ste Catherine de Sienne, qui conseilla les princes et les rois au XIVème siècle, était la 23ème des 25 enfants d’un modeste teinturier ; plus près de nous, Châteaubriand, comme Yves Meaudre sont les 10ème de leur fratrie, et tant d’autres.

 

D’où vient que les familles nombreuses soient plus pauvres que les autres?

 

 



[1] Selon la définition INSEE, le niveau de vie est le revenu disponible du ménage – c’est-à-dire les somme des revenus d’activité, de remplacement, de patrimoine et des prestations sociales, nets de prélèvements – divisé par le nombre d’unités de consommation (UC). Une UC est attribuée au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans et plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.

Le seuil de pauvreté monétaire correspond à 60% du niveau de vie médian de la population, soit 980€ par mois  en 2011.

[2] Selon le rapport du HCF sur « Le coût de l’enfant » paru en 2015, « Le coût des enfants […] est strictement proportionnel au revenu disponible des parents sans enfants ». Ce coût, pour un enfant de moins de 14 ans, est estimé, d’après l’échelle d’équivalence de l’OCDE, à 217€ pour un couple sans activité à 821€ pour un couple ayant un revenu d’activité de 4 SMIC. (P.61). Toujours selon ce même rapport,  la couverture du coût de l’enfant par les aides publiques va de 129% pour un couple avec trois enfants sans revenu d’activité à 39% lorsque ce couple gagne 3 SMIC et  14% lorsque ce couple gagne 8 SMIC.(p.65).

Rappelons que le coût de l’enfant se définit comme « la somme supplémentaire dont a besoin un ménage lorsqu’il accueille un enfant pour atteindre le même niveau de vie qu’auparavant (ou celui d’un couple semblable mais sans enfant).HCF p.14 . Le HCF précise aussi que « Les besoins identifiés ne se limitent donc pas à ceux qui pourraient être considérés comme vitaux pour les personnes, mais incluent aussi les besoins jugés socialement nécessaires pour vivre décemment dans une société donnée. (P.26) ou « pour participer effectivement à la vie sociale » comme dit l’ONPES (Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale) HCF, p.27

[3] Les dépenses consacrées par la société pour les enfants. Une évaluation du coût de l’enfant. A. Math – IRES - 2014

[4] Etude INSEE citée supra Tableau n°2

[5] Idem Tableau n°4